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Revendication de la diversité et visibilité des minorités (extraits) (version fr)

Quand l’intime investit les luttes, un héritage commun

Point Ephémère / Mardi 19 Mars 2019

Projection : Re : Orientations, Richard Fung (2016)

Avec l’intervention du Collectif Sésame F : Su Wang, présidente et co-fondatrice du CSF et Wan Qian, artiste

Modération : Apolline Diaz


SU WANG : […] Dans le film, l’une des personnes interviewées fait la remarque que les gens d’aujourd’hui manquent d’esprit communautaire et qu’ils ne veulent plus souligner leur identité LGBT par rapport aux gens des années 80. Une autre personne dans le film, trouve, elle, que la nouvelle génération ne veut pas de ces catégories, estimant que ce sont des étiquettes, et se veut plus libre dans sa manière de se définir. Vers la fin du film, une chercheuse dit carrément qu’il n’y a plus besoin d’association LGBT spécifiquement pour la communauté asiatique. Pour elle, la politique identitaire n’est pas la seule solution pour ce mouvement et qu’il y a d’autres recettes à explorer.


À travers leurs propos, on voit qu’aujourd’hui, la conscience politique en matière de revendication identitaire est affaiblie dans la communauté LGBTQI+. Le jeu des générations fait qu’il y a plus de revendications pour la diversité. Lorsque je réfléchis à ces politiques identitaires et à la question de la diversité, je me dis que notre vie humaine, personnelle ... avec ou sans identité ou politique identitaire, c’est finalement très varié. Pourquoi va-t-on chercher de la diversité ailleurs ? Là, il me semble que c’est une question de revendication de la diversité et de la visibilité. Dans la société, certaines choses sont plus visibles que les autres, et certains sujets ont plus de chances d’être traités ou discutés. De même, au sein de la communauté LGBTQI+, on réfléchit davantage à certaines questions qu’à d’autres. Il arrive aussi qu’on s’arrête à des conclusions en ignorant certaines expériences. C’est pour ça que certaines personnes peuvent considérer que certaines conclusions ne sont pas suffisantes et qu’elles ne sont pas suffisamment reconnues ou vues. Le problème de la visibilité devient alors l’une des raisons pour revendiquer la diversité. En ce sens, la discussion sur la visibilité est une nécessité pour parler de la revendication de la diversité.


L’un des objectifs de Sésame F est de rendre plus visible les LGBTQI+, notamment chinois, au sein de la communauté ou en dehors de celle-ci. Peut-être qu’il y a des gens qui pensent qu’au sein de la communauté française, une personne non blanche , par exemple un Asiatique, est déjà plus visible qu’une personne à la peau blanche. Du coup, certain.e.s se demandent alors, pourquoi dire qu’on manque de visibilité alors qu’on en a déjà. Pour répondre à cela, je voulais signaler qu’ici on parle d’un autre genre de « visibilité »: Comment sommes-nous traité.e.s et est-ce qu’il s’agit-là du même traitement ? De même que la couleur de notre peau, notre apparence « asiatique » peut nous faire remarquer dans la foule, et l’on est aussi plus susceptibles de subir un traitement différencié. C’est exactement comme tout ce qui peut rendre visible d’autres gens : des gens trop grands, trop « gros », trop moches... Tout ce qui serait de la soi-disant « (sur/extra)visibilité ». En tant que groupe racisé, on a ce problème de couleur de peau, de visage « reconnaissable ». Et ce traitement différencié peut produire des traitements discriminatoires dans une société inégale.

[……] Le point que je voudrais développer porte plutôt sur les limites de ce qu’on appelle des comportements amicaux ou bienveillants. Par exemple, je suis arrivée en France en 2004 et je parle assez bien français. Mais parce que j’ai un visage asiatique, systématiquement les gens me parlent anglais. Pour prendre un autre exemple, s’il s’agit d’une conversation entre Français, les gens ne répéterons pas les choses qu’ils se disent, mais s’ils s’adressent à une personne asiatique, ils se sentiront obligés de se répéter pensant que cette personne ne comprend pas. Tout ça, c’est à classer dans des relations amicales. Prenons un autre exemple, si quelqu’un demande d’où l’on vient... Ah, de Chine… La Chine n’étant pas démocratique aux yeux des Occidentaux, alors on se retrouve toujours à devoir supporter un regard compatissant. Parce qu’on est maintenant en France, on est censé être plus heureux.ses, comme sauvé.e.s par l’expérience migratoire. Ces gens-là montrent leur empathie et pour ne pas aller jusqu’à dire que c’est de la discrimination, c’est malgré tout un traitement différent. Ils présupposent certaines choses sur nous. Si l’on ne parle pas bien français, forcément on ne comprend pas bien non plus. Pourquoi devrions-nous nous sentir pitoyables d’être nés et d’avoir vécu en Chine ? Pour eux, c’est une évidence. Ils ne prennent pas le temps de nous comprendre vraiment. Nous sommes obligé.e.s de supporter leur compassion et d’être dans un rapport de victimisation sous la pression de leur soi-disant « gentillesse ».


Il y a d’ailleurs une scène où l’une des personnes interviewées raconte qu’elle évite de sortir en sari, son vêtement traditionnel, par peur d’être discriminée. Ce qui la rend la plus repérable, ce n’est pas son identité lesbienne, mais son habit racisé et sa couleur de peau. […] Au sein de la communauté LGBT, je trouve que l’on n’a pas assez questionné cette stigmatisation raciale. Le film parle d’ailleurs de cette problématique en pointant notamment ce stéréotype de l’homme asiatique passif, ou de la lesbienne chinoise forcément timide et peu ouverte.


Tout à l’heure, j’ai parlé des limites des comportements amicaux envers les immigrés et des souffrances que ces comportements peuvent produire. Je voudrais aborder maintenant les limites des comportements gayfriendly, puisqu’en tant que personne LGBTQ+ asiatique, on est exposé à cette double oppression. On sait bien que dans la société d‘aujourd’hui, l’homophobie n’a pas disparu. Certaines entreprises peuvent d’ailleurs profiter de ces « identités », et quand une entreprise recrute une personne LGBT, sans se soucier d’effacer les traitements différents que les autres lui réservent, ce peut être une simple stratégie entrepreneuriale qui vise à mettre en scène son ouverture d’esprit et son respect de la diversité. À ce moment, l’identité LGBT devient réellement une étiquette et elle n’est plus une identité politique subversive. La personne gay, lesbienne, bi ou trans, devient alors la vitrine d’une discrimination positive au même titre que le.a Noir.e, la Femme, « l’handicap.é.e ». C’est sûr que là, ce n’est pas la solution pour permettre l’assimilation des principes d’une conscience égalitaire. En fait, ça creuse encore plus le fossé, car en profitant de la politique de diversité, ces acteurs prennent une posture moralisatrice.


En tant que personne LGBT et racisée, nous courrons le risque de subir une double discrimination. Notre collectif a justement pour vocation d’exposer, de traiter de cette double peine, et de lutter contre toutes ces formes de discrimination. On a envie de présenter la diversité chinoise en France ; mais aussi de montrer la diversité française aux immigrés Chinois et aux Chinois en Chine. […] Pour finir sur cette question de visibilité, nous luttons pour échanger, sensibiliser et communiquer. Je pense notamment à la devise de la France « Liberté, égalité, fraternité », et je me dis qu’elle est encore plus importante ici. Comment lutter contre ces nouvelles formes de discriminations sexuelles et raciales qui peuvent s’ajouter les unes aux autres et se combiner ?


WAN QIAN : Je vais pour ma part revenir sur le film proposé par Apolline au début de la séance. Tony Susan, intervenu au début du film, se demande si les personnes opprimées comprendraient mieux les autres car il ne croit pas que les gens font ce genre de connexion. Je trouve cette remarque très importante. Lorsqu’on comprend vraiment le fait d’être opprimé en tant que personne LGBTQI+, on est plus capable de comprendre la situation des personnes racisées, genrées, ou toute personne invalidée. On peut se demander ainsi pourquoi ces personnes ne font pas de connexions, au niveau individuel, alors que tout le monde pourrait être associé. On ne peut pas lutter pour les droits des LGBT tout en négligeant les mouvements féministes, anti-racistes ou d’autres mouvements de résistance.


Moi, je travaille dans le domaine de l’art en Chine. Je pense que mon parcours de militantisme est très associé à mes propres aspirations dans ce milieu. Pour les artistes, les cinéastes mais aussi les écrivains chinois, je pense qu’il est fondamental de prendre conscience de ce problème de l’intersection entre différentes oppressions et discriminations. Le problème primordial dans le domaine de l’art et de la littérature, du cinéma, sans parler de la censure, c’est que : chez les auteurs chinois, occidentaux et dans le monde, d’un côté ils ont essayé de donner de la visibilité à certaines problématiques sociales mais de l’autre ils renforcent d’autres types de discriminations. Par exemple, Jiang WEN, c’est un cinéaste très réputé et connu. Il se caractérise par une personnalité hors-norme très contestataire, mais après avoir vu tous ces films, on a compris que c’était un grand misogyne. Il y a beaucoup de films classiques qui racontent la vie de personnes gay, et sont finalement très discriminatoires envers les femmes, les migrants ou les femmes racisées.


Et je pense que pour les auteurs cette part, consciente ou inconsciente, d’enchevêtrement de toutes ces discriminations les empêchent énormément de se développer, de se dépasser. Il me semble que depuis longtemps ils se sont coincés dans un cercle épistémologique créé par eux même ou par la société capitaliste-patriarcale. On continue à répéter la même chose sans apporter de nouveauté artistique. Et leur travail, leur soi-disant œuvre artistique égareront le lectorat et tromperont les spectateurs des nouvelles générations. C’est pourquoi je pense qu’il est important de voir ce genre de film [Re : Orientations, de Richard Fung (2016)]. J’espère qu’il y aura de plus en plus de cinéastes actifs ou d’origines asiatiques, qui réfléchissent plus sur les problèmes de l’intersection, entre le sexe, le genre, la classe et l’immigration. Et toutes ces expériences m’ont fait comprendre que le problème de la visibilité n’est jamais unilatéral. Il ne s’agit pas seulement de la force de lutte mais aussi de saisir la complexité, de détruire le système qui multiplie toutes ces discriminations.


Deuxièmement, je trouve que les mass media, les œuvres artistiques et cinématographiques se placent encore d’une façon violente pour la promotion de la matrice occidentalo-centrée et hétérosexuelle. C’est pourquoi il y a énormément de gens invisibilisés notamment des femmes, des femmes immigrées, même si elles résident longtemps en France, qui ne réfléchissent jamais au fait qu’elles soient lesbiennes et se forcent à continuer à rechercher des relations amoureuses avec des hommes sexistes. Mais en réalité ces femmes sont fréquemment agressées, frappées, violées par leur compagnon. Cependant ces histoires ont toujours fini par faire accuser, par les femmes elles-mêmes, le prince charmant qui n’est jamais venu. C’est pourquoi la notion de visibilité réside dans le fait qu’il y a une question de sécurité pour la vie des femmes immigrées, racisées, LGBTQI+. Et je crois que la valorisation de ce genre de film aide effectivement des femmes et des hommes asiatiques à s’écarter d’une situation sans issue et à regarder leur propre vie, leur propre corps et leur sexualité. Et à se rendre compte qu’on peut vivre autrement, qu’on peut baiser autrement, avoir des relations amoureuses sans se nuire corporellement ou psychologiquement. C’est pourquoi l’émergence des collectifs LGBT asiatiques à Paris donne un sentiment de sécurité à toutes ces personnes marginalisées asiatiques pour les encourager d’une manière ou d’une autre, à changer petit à petit leur mentalité normative et penser autrement la relation avec les autres.


Et je voudrais finir sur ces quelques mots… On ne peut plus se cacher dans l’ombre. On a le devoir et il est nécessaire de prendre la parole, de s’exprimer nous-mêmes, de raconter nos propres expériences, de constituer nos propres histoires et de nous solidariser avec les autres groupes au sein de nos communautés LGBTQI+.



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