Auteur.e : Da Ru
Interviewé.e : W
Traduction : Su
Correction : Georges
Faire ou pas son coming-out sur le lieu de travail, reste un choix difficile pour la plupart des personnes LGBT+. Cette question devient encore plus délicate quand on est lgbt+ chinois.e.s en France du fait de notre statut d’étranger. Aujourd’hui, J’ai eu la chance de parler avec W de ce sujet. Elle est récemment embauchée par une entreprise française et voulait bien partager son point de vue avec nous.
W est venue en France il y a 6 ans. Après avoir terminé ses études secondaires, elle est venue en France pour continuer son Master. Puis elle s’est installée en France pour travailler. Elle a fait son coming-out auprès de presque toute sa famille et des " amis proches et toutes les personnes en qui j’avais confiance". En septembre de cette année, malgré la pandémie de COVID-19, elle a pu trouver un emploi et signé un contrat de CDI dans une entreprise française.
Lors de ses stages précédents, elle a toujours choisi de cacher davantage son orientation sexuelle. Mais bien qu’elle vienne de commencer son nouvel emploi, elle a décidé de faire son coming-out auprès de ses collègues. Qu'est-ce qui a causé ce changement ?
« Ma situation était déjà bien peu établie et je ne pouvais pas ajouter quelque chose l’affaiblissant plus » Pour mon dernier stage, j’ai travaillé dans une grande entreprise ayant une culture très « masculine ». Bien que la plupart de mes collègues soient jeunes, ils étaient très « blancs ». Tout le monde s’habitue à demander si vous avez un petit ami. A l’époque je n'avais pas assez confiance dans ma capacité de travail et sur le futur de ma carrière. De plus, en tant que femme asiatique, je sentais que ma voix n’avait pas beaucoup de force. Alors face à ces questions sur ma vie privée, je n’osais pas faire mon coming-out et j’ai choisi de répondre que j’étais célibataire ou que je n’avais pas de petit ami. Parfois, les gens demandaient : « Vous ne vous intéressez pas aux garçons ?». Pour leur répondre, je souriais ou restait silencieuse.
J’estimais que ma situation était déjà bien peu établie et que je ne pouvais pas ajouter quelque chose l’affaiblissant plus. Mais ne pouvant vivre sans tout dire, cette situation me donnait l’impression de ne pas avoir une vie assez réelle. Parce que je ne pouvais pas dire toute la vérité sur moi, je n’arrivais alors pas à établir une totale confiance avec les collègues. Les collègues de mon équipe de stagiaires étaient tous des jeunes. Nous mangions souvent ensemble. Nous allions au bars et nous parlions de la vie privée de chacun. À chacun de ce genre de moment, je sentais que j'avais sous un masque et que je ne pouvais pas leur montrer mon vrai moi. J'ai donc décidé de faire mon coming-out sur mon lieu de travail actuel.
« Tu as un petit ami ? » « Non, j'ai une copine »
J'ai commencé ce nouvel emploi à partir du début de septembre de cette année, et c’est aussi dans une entreprise française. Quand quelqu'un me demande : "As-tu un petit ami ?", Je réponds désormais : "Non, mais j'ai une copine". Il y a quelques collègues qui m’ont dit des phrases polies, du genre « c’est mignon ». Je pense que le résultat de mon coming-out auprès de mes collègues jusqu’à présent n’a pas été mauvais.
Faire un coming-out implique à mes yeux un processus permettant de gagner de la confiance en soi. Il faut savoir si j’ai le courage d’avouer lors qu’on abord ce sujet. Le courage nécessaire pour le coming-out est assimilable à celui pour négocier une augmentation de salaire auprès de mon patron : je suis comme ça ou je veux cela, si vous ne pouvez pas l'accepter ou vous ne pouvez pas tolérer, tant pis, c’est votre problème. Le processus de gagner le courage d’affronter ce genre de situation est long, et la confiance en soi a ainsi besoin d’être longuement cultivé. Lorsque je commençais à chercher un emploi cette année, je me suis rendu compte que si je manquais de cette confiance en soi, je ne pourrais même pas trouver un emploi en France. Il faut apprendre à imposer notre position à l’interlocuteur : « C'est comme ça que je suis », si vous n’acceptez pas, c’est votre problème.
« Le coming-out est en soi un privilège. »
Je ne suis ni blanche ni homme. Pour moi, ça rends plus difficile de faire son coming-out. De ce point de vue, je pense que le coming-out est en soi est un privilège. Il exclut non seulement les Chinois en France qui sont sans emploi ou sans un revenu fixe, mais aussi les Chinois en Chine qui sont dominés par une hétéronormativité forte.
De mon point de vue, pouvoir faire son coming-out ou pas, dépends de notre situation : si nous sommes Chinois vivants à l’étranger ou pas, si nous avons acquis l’indépendance financière. Je pense que nous devons avoir une indépendance financière et psychologique avant de pouvoir faire le faire auprès nos parents. L'indépendance est un critère très important pour moi pour savoir si j’ai acquis le pourvoir de faire mon coming-out. Mais je sais aussi que pour les Français, c’est différent. Ils ne sentent pas obligé d'avoir besoin d'être indépendants ou d'acquérir un certain statut social pour cela. Ils peuvent dire franchement à leur entourage : "C'est comme ça que je suis".
Ce n’est pas le cas pour les Chinois en France, en particulier pour ceux qui ont grandi en Chine comme moi. Nous avons la tendance à l’« autocastration»: nous n'avons ni la capacité ni le courage suffisant pour résister à la société et à la famille originelle. Il s’agit d’une peur intérieure. Parce que dans le cadre de la culture chinoise, il y a souvent trop d’oppression. Dans de nombreux cas, on n'a pas le droit de parole. Nous ne pouvons pas dire à notre patron ou à nos parents une phrase comme : "Je suis comme ça, si vous n’acceptez pas, ce sera votre problème." C'est difficile de se débarrasser de cette oppression dans le cadre chinois. Après mon arrivée en France, je sens que j’ai pu d’une certaine façon échapper à ce cadre oppressif. Bien qu'il y ait des inégalités en France, je me sentais quand même plus libre : plus libre de déclarer que « j'aime plus les filles » et plus à l’aise pour exprimer mon point de vue.