l'intervieweur: Su l’interviewée : K Traduction : 123
Correction : Georges et Gwenael
L’autoprésentation de K
• La génération 90 atypique.
• En France depuis cinq ans après avoir obtenu ma licence.
• A eu beaucoup de petits amis quand j’était étudiante en Chine.
• Je sens depuis ma jeunesse que je préfère les filles, mais j’avais la confusion à ma propre orientation sexuelle lorsque j’étais en Chine.
• Quelques années après mon arrivée en France, je confirme de plus en plus mon amour pour les femmes. Pourtant j’ai toujours ce doute sur le fait d’être ou non "lesbienne".
« Si je n’étais pas homosexuelle, alors j’étais encore moins hétérosexuelle. »
Avant d’aller à l’étranger, je n'avais jamais réfléchi à savoir si j’étais lesbienne, parce que je ne connaissais rien vu que je n’avais jamais eu de contact direct avec un quelconque groupe lesbien. À l’époque, il n’y avait pas d’homosexuels parmi mes amis.es proches, et seuls quelques camarades de classe peu proches l’étaient. Je crois que ma cousine est une T (tomboy, lesbienne masculine). Aujourd’hui, je me rends compte que je suis une P (lesbienne féminine). Cette différence a conduit à un manque mutuel de communication en termes de « reconnaissance d’identité ». Autrement dit, je ne savais pas reconnaître le concept de « lesbienne ». Je n’ai jamais pensé à rechercher activement la communauté lesbienne ou à comprendre la culture du genre avant de quitter la Chine.
Personnellement, je pense que la reconnaissance de soi en tant que lesbienne dépend en grande partie de notre environnement. En Chine, il semble que l’immense majorité des gens pense que l’hétérosexualité est naturelle et justifiée. Tant que les personnes n’ont pas la volonté claire de « chercher une communauté homosexuelle » ou de « rencontrer volontairement des groupes homosexuels », ils ne peuvent quasiment pas se rapprocher de la communauté et de sa culture. Je ne pense pas que je sois lesbienne, mais je suis encore moins hétérosexuelle car je n’ai pas analysé avec profondeur ce genre de problèmes, du coup, je ne m’identifiais pas en tant que « lesbienne ». Depuis mon arrivée à l’étranger, je rencontre certains homosexuels dans mon cercle d’amis chinois et cela me permet de clarifier la définition du terme « lesbienne » aux yeux de tous.
« En Chine, avoir un petit copain devait être un fait naturel. »
J’ai eu plusieurs petits amis, mais cela ne veut pas dire que je voulais les avoir. Au contraire, j’étais un peu obligée de les accepter au moment où ils arrivaient à ma porte. À l’époque, la situation faisait que je n’avais aucune raison de rejeter ceux qui se présentaient volontairement. C’est ainsi que j’ai eu plusieurs petits amis sans réellement le souhaiter. Ainsi, avant que je sois clairement consciente, « avoir un petit ami » était un fait naturel. De plus, les ami.es autour moi, dont la plupart sont probablement des filles hétérosexuelles, m’encourageaient directement ou indirectement à accepter ces garçons. Alors moi, je ne pouvais pas tous les refuser car je ne voulais offenser personne. Dans ce cas-là, je devais choisir obligatoirement parmi les garçons qui me poursuivaient, et « rencontrer un petit ami » est devenu une tâche obligatoire. Après tout, l’amour entre hommes et femmes est une relation socialement reconnue et respectée. Une telle relation relie le cercle social, la promotion dans la carrière, également l’attitude des gens. Par conséquent, j’acceptais « naturellement » les petits amis. Si j’avais les refusés constamment, j’aurais été considérée comme quelqu’un de malade ou de (trop) fier. J’ai aussi besoin d’amis, mais je ne peux pas défendre mes sentiments intérieurs tout en maintenant une amitié normale.
Bien sûr, d’un autre côté, je suis aussi une humaine normale qui a besoin de compagnie et qui a peur d’être seule. Cependant aucune fille ne cherchait à me séduire et je ne savais pas si une fille aurait pu être intéressée par moi. Quand les garçons me courraient après, je savais clairement qu’ils voulaient sortir avec moi, dans ce cas, je n’avais qu’à en choisir un qui me semblait pas mal. Cependant, intérieurement, j’espérais surtout sortir avec des filles et j’étais « jalouse » des lesbiennes en couple. Hélas, il n’y avait aucune lesbienne dans ma vie. Certaines copines et moi nous sommes dites des choses comme « j’aurais préféré être avec toi », mais elles n’avaient pas du tout l’intention de sortir avec moi, elles me considéraient juste comme une amie proche.
« Il s’agit d’un long processus pour se reconnaître. »
À mon avis, simplement reconnaître son orientation sexuelle est un processus très long pour la plupart des gens. Parfois, les gens me demandent « comment avez-vous découvert que vous êtes lesbienne ? » ou « Quand avez-vous découvert que vous êtes lesbienne ? », mais en fait, ces questions sont intrinsèquement problématiques parce qu’il s’agit d’un long processus pour se reconnaître. Il n’y a pas du tout un instant T comme par exemple un moment où vous feriez réaliser, en un flash, que vous êtes lesbienne tout simplement parce que les autres vous parlent des concepts des lesbiennes ou parce qu’ils vous montrent La Vie d’Adèleou vous lisent des articles écrits par Butler. Non, il n’y pas un moment qui me fasse soudainement réaliser que je suis lesbienne.
Pour les lesbiennes qui se sont identifiées comme homosexuelles depuis l’enfance et qui n’ont jamais eu de petit ami, je ne sais pas quel est leur « mécanisme », comment elles ont pu s’identifier si tôt. Je n’en fais pas partie, au contraire, j’ai connu un très long chemin pour me reconnaître.
« Des lesbiennes qui ne rejettent pas les relations sexuelles avec des hommes sont-elles des lesbiennes ? »
Bien que j’aie aujourd’hui la tendance de me considérer comme lesbienne, je ne sais pas vraiment ce que signifie le mot « lesbienne ». Actuellement, il me semble que la définition de lesbienne dans la communauté correspond aux femmes qui veulent avoir des relations sexuelles uniquement avec des femmes et qui ne veulent rien avoir avec des hommes. Selon ce concept, j’ai l’impression que je suis une femme ordinaire et une lesbienne en même temps, et je ne sais toujours pas exactement ce qu’est une lesbienne. Je me suis toujours sentie particulièrement attirée par les femmes. Je le sais depuis mon enfance. J’attache plus d’attention aux filles, j’espère qu’elles soient heureuses et je suis plus sensible à leur humeur ou à leurs sentiments.
Personnellement, le terme « homosexualité » (同性恋) concerne davantage l’amour, car le terme comprend le mot « amour » (恋) en chinois. Cependant le mot « homosexuelle » (en français dans le texte) se concentre plus sur le sexe. Il s’agit donc d’un manque de vocabulaire. Le terme chinois, 同性恋, me convient bien, car j’aime uniquement les femmes. En revanche, j’accepte les rapports sexuels avec les hommes et les femmes. J’ai connu plusieurs homosexuels chinois en France qui ne remettent pas en question le terme « homosexualité ». Ils peuvent affirmer directement et clairement « je suis gay », « je suis lesbienne », ou « je suis homo depuis toujours ». J’ai l’impression qu’ils en sont assez sûrs. Mais je ne peux pas l’affirmer comme eux. Pour beaucoup de gens, une lesbienne ne peut être attirée que par des filles et ne peut pas coucher avec des hommes. Si je dis que j’accepte aussi des relations sexuelles avec des hommes, mon orientation sexuelle ne sera pas reconnue.
Je pense que le sexe et les sentiments s’intègrent dans leur définition de lesbienne, mais ce sont deux parties indépendantes dans mon esprit. Dans ce cas, je n’entre pas dans leur définition. Cependant, je me sens comme une pure lesbienne dans mon cœur, car je n’aime que les femmes. Mais la définition respecte les opinions de la majorité, et la relation sexuelle avec des hommes m’exclut de cette définition. En fait, ce que j’aime vraiment, c’est la féminité et les femmes, donc, je pourrais être attirée par des hommes ou des transgenres très féminins, ou tous les types de femmes, y compris les tomboys.
Malheureusement, personne n’est là pour écouter mes doutes, et il semble que personne ne veuille m’entendre raconter cela. Je comprends bien que certaines personnes ne peuvent pas accepter les lesbiennes qui couchent avec des hommes et elles pensent que ce sont plutôt des bisexuelles que des lesbiennes pures. Aux yeux de beaucoup de personnes, les bisexuelles sont des gens avides qui veulent tout. Néanmoins je pense que les autres ne devraient pas se soucier du fait que j’ai eu des petits amis ou que je ne rejette pas les relations sexuelles avec des hommes. De base, je n’ai pas de passion particulière pour les relations sexuelles avec des hommes, mais je ne les rejette pas complètement comme d’autres lesbiennes. J’ai le même principe pour rencontrer ma petite amie : si une fille est préoccupée par mon passé, elle ne peut pas devenir ma petite amie. Ma petite amie doit être quelqu’un qui peut vraiment me comprendre, accepter mon passé, mais aussi comprendre mon mécanisme, en considérant que mon parcours est tout à fait normal et naturel.
« L’objet d’amour et l’objet sexuel des lesbiennes doivent-ils être exactement les mêmes ? En fait, non. »
À mon avis, la raison pour laquelle elles ont cette idée est que l’objet de leur amour et l’objet de leurs désirs sexuels doivent être les mêmes dans leur esprit. Pourtant, le sujet d’amour et le sujet de sexe de nombreuses personnes ne sont pas les mêmes, mais nous en entendons rarement parler car ces personnes seront critiquées si elles l’avouent directement. Les autres pourraient croire qu’elles sont frivoles et se livrent à des relations purement sexuelles, etc.
La société nous impose des choses, par exemple, la société nous oblige à porter des vêtements, mais on n’a pas besoin de porter de vêtements dans de nombreux cas (quand il fait très chaud par exemple). On ne sait pas pourquoi il faut porter des vêtements, mais on le fait. La société oblige les femmes à porter des soutiens-gorge, elles les portent même si elles ne sont pas à l’aise avec. Elles ne se demandent pas pourquoi, parce que tout le monde fait de cette façon, alors on suit la norme. Tant que personne ne conteste cette norme, on la croit comme étant une loi naturelle et logique. Mes relations avec des ex petits amis sont aussi un exemple de cette situation. Il existe de nombreuses situations similaires dans la vie, et on fait des choses sans y penser sérieusement. L’association obligatoire de l’amour et du rapport sexuel en fait également partie. L’amour et le rapport sexuel sont toujours étroitement liés dans notre société, de sorte que les termes tels que « adultère », « infidélité » ont été créés. En raison de la force de ces concepts, quant aux lesbiennes, les gens croient que seules celles ayant le même sujet d’amour et de désir sont de vraies lesbiennes. Toutefois faut-il vraiment un tel sexe et un tel amour pour avoir une relation lesbienne pure et pour avoir le titre de « lesbienne » ? J’en doute.
Merci pour ce témoignage, Je le trouve très intéressant pour le questionnement et la confusion autour de l'identité sexuelle, l'orientation sexuelle et les pratiques sexuelles. Je ne sais pas si le mandarin permet la différence de ces concepts mais K y trouvera peut-être les réponses qu'elle cherche pour pouvoir s'affirmer. Cela ne réglera pas toutefois le jugement que peuvent avoir certaines ou certains sur les pratiques sexuelles ou les histoires du passé. Malheureusement, j'ai plusieurs fois entendu des témoignages comme celui-ci, de la part de jeunes femmes bisexuelles ou pansexuelles coréennes qui cachaient leurs histoires avec des hommes à leurs cercles d'amies lesbiennes. Je me souviens que l'une d'entre elle ne se sentait jamais à sa place dans une association lesbienne et qui finalement à rejoint une association féministe. En tout cas K n'est pas seule du tout à vivre cette réalité. Si K ressent le besoin d'en discuter, je ne suis certainement pas le mieux placé en tant qu'homme français straight cis, mais elle peut me contacter. Par ailleurs cela me fait penser à un article que j'ai lu sur les mots utilisés en chinois mandarin dans le monde LGBTQA+ chinois : "Transnational queer Sinophone cultures" de Fran Martin. L'article universitaire est disponible librement (en anglais) ici : https://www.routledgehandbooks.com/doi/10.4324/9781315774879.ch2
À l'origine, l'article est publié dans le livre universitaire : McLelland, m., Mackie, V. (2019). Routledge Handbook of Sexuality Studies in East Asia. New York : Routledge.